Qui tue la littérature togolaise ?

ImageLe 14 septembre passé, j’ai assisté dans les locaux du village du Bénin à la cérémonie de dédicace d’un roman intitulé Baiser de Judas (Lomé, éditions Les Beaux Ecrits) d’un certain  Alexandre Goli, journaliste et doctorant en lettres modernes. Son livre, très mal fabriqué (travail d’amateur avec des pages très pâles et illisibles), était aussi l’objet d’une dédicace organisée comme un ballet grotesque à faire pleurer de rage Feu Molière. De cette dédicace, je suis sorti malade d’interrogations sur l’avenir de la littérature togolaise, notre littérature. Quand cesserons-nous de banaliser les choses de l’esprit dans ce pays ? Avons-nous le droit d’appliquer le saint vocable « Littérature » à nos banales sautes d’humeur ? L’art serait aussi facile à sucer au Togo ? Pourquoi même les voix autorisées se taisent devant la pollution très avancée du champ littéraire togolais ? Devons-nous laisser la médiocrité s’ériger en modèle?   A cette dernière question, il urge non seulement de répondre par un NON franc, mais encore et surtout de parler, de remuer le couteau dans la plaie – il le faut pour la survie de notre littérature – de désigner ceux qui sont en train de crucifier la littérature togolaise, pauvre Christ togolais ! C’est dans cette logique que s’inscrit cette interrogation : Qui tue la littérature togolaise ? Je situe les responsabilités :

–          Les éditeurs : l’édition au Togo peine à se professionnaliser. Ceux qui se lancent dans cette aventure, généralement des amateurs, n’arrivent pas à concevoir l’édition comme une véritable entreprise du livre où chaque département fonctionne avec le plus de rigueur possible, surtout au niveau du travail éditorial. Des textes sortent bourrés de coquilles ou pis, des textes littérairement pauvres et insipides, sont publiés et on se demande s’il existe dans ces maisons d’édition, des comités de lecture dignes de ce nom. Des éditions Graines de Pensées aux éditions Awoudy en passant par les éditions Continents, le constat est le même : il manque du sérieux ! L’art est un sublime accomplissement, il ne tolère point l’à-peu-près, messieurs les éditeurs ! Quand on lit le roman Damas de Daniel Lawson-Body avec des pages consacrées à la grammaire et à la stylistique à la manière d’un manuel scolaire, on se demande si l’éditeur Graines de Pensées a vraiment fait son travail d’éditeur. Quand on lit la poésie publiée par les éditions Continents, on répond à Hemingway  que le glas sonne pour la poésie du Togo, car la machine du monde poétique tourne sans nous ! Quand on lit également Love sweet love de Seraz, on se demande comment l’éditeur Awoudy a bien pu laisser passer un texte dont l’intrigue est aussi bancale que simpliste ! Les exemples sont légion et c’est malheureux pour la littérature togolaise.

–          L’Etat : Oui l’Etat togolais a sa part de responsabilité quant à l’état honteux dans lequel se trouve aujourd’hui la littérature togolaise. Que l’Etat ne subventionne aucune initiative littéraire, on peut encore lui trouver quelques excuses politiques( ?) comme le pensent certaines personnes, mais qu’il ne se soucie pas de la nécessité d’une réforme du système éducatif, là se pose un énorme problème. Tout le monde s’accorde à dire qu’une reforme de nos programmes d’enseignement s’impose, surtout l’enseignement du français où Hugo, Musset, La Fontaine, Senghor (avec lui, ça passe encore) et autres auteurs règnent en maîtres incontestés alors que les écrivains togolais Kangni Alem, Kossi Efoui, Sami Tchak, Théo Ananissoh et j’en passe, méritent d’être étudiés.

–          Les enseignants de français : j’en suis un et donc je vais parler d’un domaine que je côtoie quotidiennement. Si la littérature togolaise ne va pas bien, c’est aussi de notre faute, nous autres profs de français. On peut crier sur tous les toits que  nos programmes officiels pèchent par l’absence d’œuvres togolaises, mais rien, absolument rien ne nous interdit de les étudier avec nos élèves. Nous souffrons d’une paresse intellectuelle chronique, d’un manque criard de volonté et de courage pour lire et offrir à nos élèves  études et analyses des œuvres  littéraires togolaises. Nous préférons nous contenter tranquillement des analyses toutes faites depuis des décennies sur de candides archers bassari, victimes de nos trop grandes et vieilles satisfactions littéraires. Ce constat n’épargne pas non plus les universitaires, surtout lettrés modernes. En effet, ces derniers que j’appelle les voix autorisées, n’écrivent rien sur les productions littéraires togolaises, pourquoi ?

–          La poésie de CENACLE (Association de la nouvelle génération de poètes togolais) : C’est une catastrophe pour le chant poétique togolais. La poésie est trop grande pour être si petite dans les textes des auteurs dits poètes de cette association. Du président jusqu’au dernier membre de ce CENACLE, on lit des arrangements laborieux de mots qui s’inventent quelque Babylone à tuer, des proclamations de foi qui n’ont aucun lien avec la poésie. Le « j’écris pour dénoncer » dont ils font preuve, fait peur. Il pollue et fausse le chant poétique togolais. Comment peut-on croire dur comme fer  qu’il y a de la poésie dans le texte suivant par exemple ? :

« Tu n’as pas calomnié

Tu n’as pas vendu tes frères et sœurs

Pour le grisbi

Tu n’as porté atteinte

A la sûreté d’aucun Etat » in Le murmure des martyrs de Kodzo Vondoly, c’est le président du CENACLE en question, imaginez le reste de la bande en création!

On a juste envie de dire à ces Cénacléens que la poésie est recherche d’une forme, travail incessant sur les mots et non  du zoblazo chaotique qui cohabite avec la banalité  la plus insupportable.

–          Le théâtre d’Escale des écritures : Cette association dans laquelle on trouve des dramaturges tels Jean Kantchebe, Koukouvi Dzifa Galley…, travaille beaucoup sur ce que les auteurs de ladite association appellent « théâtre contemporain ». Il me souvient lors de la dédicace de la pièce de théâtre de Eklu Agbeagbé, La Persévérance (texte perfectible, je l’avoue), un membre d’Escale, en l’occurrence Joël Amah Ajavon, reprochait à l’auteur de faire encore du dépassé à l’heure du théâtre contemporain. Il n’a pas parlé au nom de l’association, certes, mais il y a l’expression « théâtre contemporain » qui revient si souvent dans les propos des membres d’Escale et, moi, j’aimerais bien qu’on m’explique ce que c’est, le théâtre contemporain ! Sinon pour moi, les dramaturges d’Escale sont pris dans leur propre piège de théâtre contemporain avec une vision qui ne permet pas à des individualités de s’éclore. Voilà pourquoi, on constate un air de famille dans leur texte, notamment dans leur recueil de pièces de théâtre titré Balade théâtrale sorti aux éditions Awoudy en août dernier. Le risque pour le théâtre togolais dans cette situation d’Escale, c’est de voir sa vitalité s’étioler au fil des ans, puisqu’on ne voit plus de particularités dans les textes dramatiques. Au sein d’Escale, il y a une crise d’individualités, nous voulons des dramaturges dont les particularités s’affirment clairement même si les auteurs se côtoient comme c’était le cas dans les années 90 avec les Kangni Alem, Kossi Efoui et autres.

–          Nos certitudes ridicules : Oui ! j’emprunte volontiers l’expression à un de mes profs préférés pour désigner ici l’étroitesse d’esprit  de certains écrivains ou « en voie d’être écrivains » qui ne supportent pas qu’on puisse dire tout le mal qu’on pense de leurs œuvres ou manuscrits. Ici au Togo, la seule critique qu’on tolère, ce sont des louanges et des applaudissements, une petite voix contraire est vite sommée de retrouver la juste voie, au risque de passer pour l’ennemi des uns ou le bourreau des autres. Dans ces conditions, on voit des textes germés de partout, des textes insipides qui, si nous ne faisons pas attention, érigeront la médiocrité en modèle. Si cela n’est pas déjà fait surtout avec les énormes confusions qu’on constate ici entre sociologie/littérature/sociologie de la littérature/phénomènes de mode. Dans ce tohu-bohu, je m’autorise à dire qu’un texte n’est texte littéraire que quand on peut lui reconnaître une valeur ajoutée dans une tradition littéraire. Voilà pourquoi Sami Tchak  dans Hermina, rappelle à tous ceux qui se lancent dans l’aventure de l’écriture : « Ecrire est un acte libre, et si l’on estime que toutes les conditions pour donner le meilleur de soi ne sont pas réunies, il faut alors renoncer, personne n’est indispensable. »

20 commentaires sur “Qui tue la littérature togolaise ?

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  1. Bravo. Tu cherches des critiques littéraires mais bon sang! tu en es. Mais bon mollo quoi! Comme l’a dit quelqu’un il y a un début à tout. Juste deux ou trois choses encore. Tu cites certains auteurs, certes bons, très bons voire, un peu trop souvent. Ils ne sont certainement pas les seuls dans la galaxie littéraire togolaise à bien écrire; et comme par hasard ils vivent tous à l’étranger. Je l’ai constaté dans beaucoup de tes articles, les mêmes qui reviennent en boucle. Deuxième chose je ne suis pas d’accord sur ton jugement de la musique. J’appartiens à une génération qui a connu les années 70 où on nous imposait à la radio Lomé et celle de Kara une musique exclusivement togolaise dont on ne peut pas dire qu’elle était d’une extraordinaire qualité; ni foisonnante, bonjour monotonie! Aujourd’hui elle me surprend notre musique. Bien sûr il y a partout des déchets mais alors crois tu que les médias togolais la programmeraient autant si elle ne trouvait pas d’échos chez des Togolais qui chérissent tant ce qui vient de l’étranger? Enfin je crois qu’il faut mettre aussi en cause les écrivains: même si on publie à compte d’auteur, il faut prendre soin de demander à l’éditeur ou à des amis de vous dire si l’oeuvre a minimalement une qualité littéraire

    1. Oh! Aîné pour la musique, on en reparlera…pour ce qui est de la littérature togolaise, je refuse la catégorisation systématique: l’extérieur et l’intérieur. Donc je cite les écrivains pêle-mêle,d’autres un peu trop peut-être, mais il y a souvent le paramètre actualité littéraire de ces écrivains-là.

  2. je connais pas beaucoup qui aimeront ton coup de gueule en lame tranchant jusqu’à la manche.merci de ne pas savoir te taire!

  3. Ah..enfin quelqu’un qui ose dire tout haut quenla médiocrité predomine dans notrenpays sur le plan culturel, artistique…dommage…on a, pas, le droit d en parler sinon c est la foudre qui s abat. Merci pour l’auteur.

  4. Anas, Ohmherr, Baudane et vous l’anonyme, ne voyez-vous pas que la littérature n’a même pas une petite place sur les chaînes de télévision et dans ma presse écrite ? Comment peut-on transmettre l’héritage culturel à la postérité s’il n’y a pas un cadre approprié ? L’internet, oui, combien prennent le temps d’y lire une ligne, de participer et de contribuer à quelque chose. Transportons le débat ! Qui veut être Ministre de la culture !

    1. Maurille, il y a du travail, ça, c’est une évidence! et la question des médias, moi-même j’en ai cherché, mais rien, on m’a repoussé gentiment, donc si tu trouves une plage horaire, je suis preneur!

  5. L’œuvre artistique n’a jamais connu de perfection à ce qu’il me semble. L’art se construit à travers le temps et c’est l’évolution de l’espace culturelle qui confère aux œuvres leur qualité. La qualité des œuvres artistiques ne se décide ni ne se décrète. Imaginez les séries télévisées des pays africains d’il y a 10 ans révolus. C’était de la grimace mais aujourd’hui la perfection dessine son chemin sans qu’on le demande. L’art se construit. Cependant, ne pas faire attention aux critiques, c’est tuer la poule ou le coq dans l’œuf sans lui donner la chance de voir le jour et de se faire améliorer dans un cadre bien construit par les personnes avisées, ceux que nous désignons sous le vocable de critiques avisés et autorisés. Kangni Alem a commencé le travail avec déjà deux parutions aux éditions Awoudy qui sont des critiques du paysage des œuvres littéraires de la nouvelle génération. Ils s’interroge :  » Où va la littérature togolaise ? « . Patience, la construction est en cours. N’attendons rien du politique. Son plus grand souci c’est la conquête du pouvoir même s’il se cache sous le chapeau du développement. Pour sortir facilement de cette aventure rocambolesque, la collaboration franche et sincère entre Éditeurs, Auteurs et Lecteurs s’impose. Je vois les Maisons d’édition chacune dans son cercle infranchissable observant l’autre dans une concurrence destructrice. De grâce, faisons l’aventure à pas de caméléon mais sûrement ! Soyons encore plus souples ! ! !

    1. Oui, Maurille, l’art se construit! Mais comment se construit-il chez nous? Nous avons quand même une tradition littéraire – même si elle est mince- elle existe quand même. Et moi je pense que pour écrire, on regarde là où les aînés ont mis la barre avant de se lancer…Quand on regarde ce que les Dabla, Analla et autres ont fait en poésie, on ne peut plus écrire aujourd’hui Je vais à l’école avec Nicole! Quand on regarde ce que les Kossi Efoui, Alem et Tchak ont fait et font dans le théâtre et le roman, la barre est à un niveau assez élevé et écrire en dessous de ça, c’est détruire la tradition littéraire qui se construit!

  6. il es toujours bon de se mettre au dessus pour critiquer la masse! mettez vous au milieu de la masse pour faire l’exception! à mon avis vous vous trompez sur la méthode à utiliser pour énoncer une vérité, celle de la crise littéraire ou carence de qualité de la littérature togolaise du Togo! au lieu de tant la dénigrer mettez vous plutôt à l’enseigner au génération à venir et tenter de cuire celle déjà médiocre. Vous me demanderez sans leur montrer leur bassesse? Évidemment si, mais les manières de le dire, surtout les dénonciations nommément les concernés jusqu’ à friser une sorte de dénigrement, ne pensez-vous pas chers ainés que c’est grotesque?

    1. Deux choses: je n’ai jamais insulté, je n’ai jamais dénigré! Je n’énonce aucune vérité, je n’en détiens aucune d’ailleurs! J’ai constaté des faits que je relate avec moins de passion possible. On n’enseigne pas à la jeune génération ce qui n’est pas bien. Moi je suis enseignant de français et dans mes classes, j’étudie des oeuvres togolaises telles que La saga des rois de Kangni Alem, Morte saison de Gnoussira Analla, Femme infidèle de Sami Tchak, Paroles insulaires de Nicaise Assouan, je les étudie parce que ces auteurs produisent des oeuvres qui ont une valeur littéraire qu’on peut transmettre aux jeunes. Mais ne me demandez pas d’étudier je ne sais quoi produit chez un imprimeur du coin, je ne peux le prendre pour de la littérature!

  7. Mon cher ami, notre pays se meurt, il se meurt tout doucement et moi les mots me manquent pour qualifier justement cette situation. Je me demande parfois si c’est moi qui exagère ou que je suis tout simplement en déphasage avec la réalité de ce pays. Cette agonie lente mais sûre est d’abord culturelle à mon avis.Et tous les secteurs de cette culture(dont les lettres) en souffrent. Je me demande si nos décideurs politiques ne le voient pas ou si c’est l’audace qui leur manque pour aller au fond des choses. Nous nous complaisons trop dans l’amateurisme et dans la culture de la médiocrité. Le débat doit se faire et avec les mots justes. Merci de l’avoir lancé.

    1. Merci cher ami. Pour ce qui concerne la culture, l’excellence doit venir de ceux qui se lancent en tant qu’artistes. Même si on peut accuser l’Etat de ne rien faire, il faut reconnaître également les amateurismes individuels et les les corriger d’abord!

  8. a la dédîcace de monts é rèv,jè pu constaté non san amertum ke o togo,la littérature è enkor bancale.il è vrai ke j s8 arrivé en retard,ke j n’ai pa enkor lu l’oeuvr ms à l’aune dè kestion ki ont été posées à l’auteur,j me di k’il rest du travail à fair.insipid étè la plupar dè kestion,banales é embaraßé étè lè rpse. »xpliké ns votr sourir »avè demandé un participan,kel purg?s’il è vrè ke tt a déja été écri kom le disai justemen heberto ds hermina,ns 2von kan mm fèr l’efor 2 tjr réinventé é l’écritur é la lectur car kom ns l’avè appri lawson-body daniel,cè le lecteur ki donn sens é vi à l’œuvr littérèr.bell analyz anas

      1. Tu sais, au-delà de la littérature, c’est tout le domaine artistique togolais qui est malade. Quand on écoute notre musique, par exemple, on a l’impression que le ridicule ne fait pas honte au Togo!

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